L'instruction doit aussi avoir pour objet de prémunir contre l'erreur

L'éducation a certes des finalités diverses. Mais la formation de l'intelligence, et avec elle l'accès à la science et à la vérité sont essentielles à la liberté publique. Toute servitude s'enracine en effet d'abord dans des préjugés ou des imaginations absurdes.

Cette dernière partie aurait moins pour objet de donner de véritables lumières que de préserver de l'erreur. Un des avantages les plus grands de l'instruction est, en effet, de garantir les hommes des fausses opinions où leur propre imagination et l'enthousiasme, pour les charlatans peuvent les plonger. Parmi ces grands préjugés, qui ont séduit des nations, et quelquefois l'humanité presque entière, à peine en pourrait-on citer un seul qui n'ait été appuyé sur quelques erreurs grossières en physique. C'est souvent même en profitant avec adresse de ces erreurs grossières que quelques hommes sont parvenus à faire adopter leurs absurdes systèmes. Les écarts d'une imagination ardente ne conduisent guère soit à des projets dangereux, soit à de vaines espérances, que les hommes en qui elle se trouve réunie avec l'ignorance. Cette imagination passive, qui réalise des illusions étrangères, si différente de l'imagination active qui combine et qui invente, a pour cause première le vide d'idées justes et l'abondance trop grande d'idées vagues et confuses. 

Cinq mémoires sur l’instruction publique, second mémoire. 

Ainsi, dans ces écoles, les vérités premières de la science sociale précèderons leur application. Ni la constitution française, ni même la déclaration des droits, ne seront présentés à aucune classe de citoyens comme des tables descendues du ciel, qu’il faut adorer et croire. Leur enthousiasme ne sera pas fondé sure les préjugés, sur les habitudes de l’enfance ; et l’on ne pourra leur dire : Cette déclaration des droits, qui vous apprend à la fois ce que vous devez à la société, et ce que vous êtes en droit d’exiger d’elle, cette constitution que vous devez maintenir au dépens de votre vie, ne sont que le développement de ces principes simples, dictés par la nature et par la raison, dont vous avez appris, dans vos premières années, ) reconnaître l’éternelle vérité. Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à la raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, en vain ces opinions de commande seraient d’utiles vérités ; le genre humain n’en resterait pas moins partagé en deux classes : celle des hommes qui raisonnent, et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves. 

Rapport sur l’organisation général de l’instruction publique p.12