De l'Université Conventionnelle... à Septembre
De l'éducation populaire
Crée durant l'été 2007, l’Université conventionnelle dispensera des cours publics et gratuits à partir d'octobre 2008 et jusqu'au printemps 2016 dans une multitude de lieux du nord-Est parisien : le lycée Dorian, la maison des associations du onzième, la librairie le Merle moqueur, l'espace autogéré EDMP, etc.
Au total, et avec parfois un programme annuel de six à sept cours différents, et une équipe d'une dizaine de professeurs, ce sont plus de 300 séances de cours qui ont été assurées gratuitement par des bénévoles, soit plus de 600h de cours effectifs!
Ajoutons que, partagés en ligne sur une plateforme qu'on n’appelait pas encore un MOOC, ces cours représentent aujourd'hui un patrimoine pédagogique de près de 300 heures de podcasts librement accessibles, et nous nous ferons une idée du travail accompli.
... Au média numérique
Mais parce que les meilleures volontés s'usent et que le projet menaçait de s'étioler progressivement, jusqu'à s'éteindre en silence à court terme, nous avons décidé de lui donner un nouveau départ, dix ans après son lancement.
Nous avons également pu constater que le site de l'Université conventionnelle, d'abord pensé comme le complément des enseignements vivants dispensés, est devenu progressivement le concurrent ou le substitut de ces séances de cours du soir. Et si la fréquentation de ces derniers étaient de plus en plus aléatoire, l'audience du site n'a cessé, elle, de grandir.
Il est donc temps d'embrasser pleinement ce tournant numérique. Aujourd'hui, Septembre constitue un projet éditorial qui a vocation à poursuivre et à préserver le travail de l'Université conventionnelle, tout en l'ouvrant à de nouveaux espaces et de nouveaux contributeurs.
8 octobre 2008, Maison des Associations du 11ème, Première rentrée de l'Université Conventionnelle
Pourquoi l’Université conventionnelle?
Une Université Populaire...
Fondée durant l'été 2007 par un petit groupe de professeurs, de doctorants et d'enseignants-chercheurs, l'Université Conventionnelle était dès l'origine un projet à la fois pédagogique et politique.
Du point de vue politique, il s'agissait d'abord de se donner un espace de liberté pour transmettre et partager des savoirs, et échapper en quelque sorte à la forme d'assignation à résidence scolaire et universitaire propre à la culture humaniste aujourd'hui.
Il y a en effet comme un régime de liberté surveillée qui frappe la culture humaniste.
Si la lecture des classiques ou la libre réflexion sont globalement honorées en parole, c'est du moins à la condition que leur étude sérieuse demeure cantonnée aux lycées et aux universités. Le "grand public" n'aurait que faire de Balzac par exemple, qu'il vaudrait à tout prendre mieux laisser aux étudiants et aux professeurs, moyennant bien sûr un soupçon de vulgarisation tard le soir sur le service public et forcément “ludique”. Faites votre thèse et circulez en somme.
Notre conviction, telle que le préambule de nos statuts associatifs la résumait, était à l'inverse que rien n'est moins le privilège d'une corporation, fût-elle pédagogique ou académique, que le riche héritage d'œuvres et de questions que nous lègue la tradition humaniste et philosophique.
Pire, placer Platon, Stendhal ou la réflexion sur l’utile ou le vrai en dépôt dans l'université, n'est-ce pas la meilleure façon de transformer en cuistreries les sources vivantes de nos pensées comme de nos inquiétudes ? N'est-ce pas également laisser les coudées franches aux idéologues et aux démagogues dans l'espace public ?
En ce sens, il ne nous semblait pas possible d'envisager exclusivement la défense de l'école et de l'université comme un problème institutionnel ou pire, comme une question "corporatiste".
Comment défendre en effet les professeurs lorsque les disciplines et les savoirs dont ils tirent autorité et légitimité demeurent aux marges de la société ? Lorsque leur valeur culturelle est réduite à leur importance scolaire et sociale, voire à leur poids dans la trajectoire de quelques parvenus ?
Notre conviction était que la culture humaniste constitue peut-être la seule culture réellement commune, en ce qu'elle seule se donne comme intégralement partageable, sans autre exclusive que l'attention et la passion mise à son appropriation.
Elle ne suppose en effet nulle adhésion préalable, seulement la confiance que les quelques grands noms retenus par l’histoire universelle sont riches d’un sens commun à tous.
A force d’étatisation de la transmission (écoles, universités…), d’instrumentalisation des savoirs à des fins sociales (influence, ascension sociale, “débats” et “intellectuels” en tout genre) toutes plus ou moins rongées par la vanité, l’ambition ou le ressentiment, nous avons peut-être oublié une chose simple : l’instruction véritable ne peut naître que d’une libre invitation, et du refus de contraindre comme de séduire.
C'était là une position politique en un sens, et dont l'urgence nous semble encore actuelle. L’instruction et la culture nous semblent encore avoir à se libérer de ces carcans et de ces assignations qui constituent autant de conforts mortifères pour ceux qui ont eu la chance de recevoir quelques lumières de leurs études et, depuis leur tour d’ivoire, s’accommodent de l’ignorance triomphante.
...dédiée aux Humanités
Mais cette idée que l'école ne concerne pas que les professeurs et les élèves, qu'elle est en son cœur le vecteur d'un commun véritable et non le triste chapitre d’une “politique publique”, tout cela reposait d'autre part sur une prise de position proprement pédagogique.
Nous ne prétendions pas en effet que la philosophie - pour parler d'une discipline que beaucoup d'entre nous à Septembre enseignent ou ont enseigné - est populaire en n'importe quel sens.
Nous nous sommes du reste assez vu reprocher par des "amis du peuple" notre élitisme supposé pour clarifier cela. Les anathèmes politiques tombent vite quand il s'agit pour des professeurs de sortir de leur classe.
S’adresser à tous signifie ne pas faire d’exclusive a priori, et donc s’adresser à chacun au nom de ce qu’il y a de plus élevé. Oui Homère et Kant pour tous! Nous ne filtrons personne à l’entrée. Car qui peut prétendre respecter autrui s’il le juge par principe incapable de s’instruire ?
Mais il y a une manière de “vulgariser” qui assimile le peuple à un enfant incapable, et qu’il faudrait préserver de tout effort véritable. Cette “démocratisation” des savoirs veut préserver l’autorité des maîtres en interdisant autrui de juger des choses mêmes : les savoirs passent au loin et on applaudit l’expert et le conférencier. Il ne reste à la plèbe qu’à croire et admirer. Avec une telle idée du peuple, la souveraineté populaire est une dérision.
On nous a naturellement également opposé que proposer de lire Platon à tous ne serait que la continuation d'un coupable ethnocentrisme occidental. Ce culturalisme va de pair avec le mépris du peuple, puisqu’il assigne les savoirs et le gens à des identités figées et définies avant tout examen ou tentative de partage.
Pourtant, par "humanités" nous n'entendons rien d'autre qu’une somme d’œuvres, de textes ou de questions débattues, qui ont démontré leur universalité par le seul fait qu'à chaque époque, en des lieux et des temps très divers, elles ont su nourrir des hommes et des femmes, éclairer leur action ou donner un sens à leur choix.
L'universalité des classiques ne découle ainsi pas d'une quelconque supériorité essentielle ; elle tient à l'invitation dont ils sont porteurs. Nous ne regardons par les "Humanités" comme un club fermé, caractéristique de la manière de voir occidentale ; du reste le Tao-Te-King ou le Coran sont bien également des monuments humains, au même sens que Dante et Balzac. Ils invitent également à l’étude et à la réflexion sur la condition commune.
Les humanités valent donc par la méthode dont elles sont porteuses : l’étude, l’attention, le doute, le refus des autorités et des portes closes.En ce sens, elles constituent moins un patrimoine figé, que des objets d'étude indéfiniment diversifiés, au moyen desquels chacun peut faire l'épreuve d'une commune condition.
Mais il faut ici faire le premier pas et parier que par exemple on retirera pour soi quelque chose d'un grec mort il y a plus de 2300 ans. Qu’on est pas obligé de tenir les oeuvres fermées une fois quelque lieu commun d’histoire des idées vaguement assimilé.
Rien n'est possible sans ce premier pari, cette confiance préalable que le professeur doit à la fois mériter par sa compétence et entretenir envers et contre toutes les difficultés de l’élève.
Septembre n’a d’autre ambition que de soutenir ce pari, sans béquille et sans chaîne.