Le enjeux de la lecture de Tocqueville

Ce cours veut proposer une lecture suivie de l’ouvrage très célèbre d’Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, rédigé et publié par son auteur en deux tomes (1835 et 1840) suite à un voyage de 11 mois aux Etats-Unis (d’avril 1831 à mars 1832). 

 


Les références à Tocqueville et à cet ouvrage sont très nombreuses dans le champ universitaire et politique, mais il est rare de trouver des commentaires méthodiques du texte et de ses enjeux. Souvent même les citations qu’on en fait se retrouvent coupées de leur contexte et peuvent prêter à contresens. 

Or, comme le dit Tocqueville lui-même dans son introduction : « Ceux qui voudront y regarder de près trouveront, je pense, dans l’ouvrage entier, une pensée mère qui enchaîne, pour ainsi dire, toutes ses parties. » (p.71) Nous proposerons donc une lecture complète de l’ouvrage afin de tenter de bien comprendre la pensée de Tocqueville et ses implications. Nous tenterons de montrer notamment dans quelle mesure les réflexions de Tocqueville sur la démocratie nous permettent de comprendre nos sociétés actuelles. 

Nous commencerons, cette année, par étudier en détail le Tome 1 de l’ouvrage, constitué lui-même de deux grandes parties. (on pourra se reporter à la rubrique Ressources cette page pour y trouver un plan général de l’ouvrage). 

 

Le premier tome de la Démocratie de Tocqueville

Ce premier tome de De la démocratie en Amérique nous propose une description critique des institutions américaines au sens large, institutions qui comprennent aussi bien les pouvoirs constitutionnels qui fondent son « gouvernement » que les institutions qui font le relais entre ce pouvoir politique et la société civile (comme les partis politiques, la presse, les associations de tous types…qui constituent le domaine de ce que Tocqueville appelle « les mœurs politiques »). Le deuxième tome, que nous étudierons par la suite, s’intéresse quant à lui aux effets de ces institutions sur la société civile elle-même et notamment sur les idées, les sentiments et les « mœurs » privées des citoyens. (Introduction, p.69). 

On voit donc le mouvement général de l’ouvrage qui a pour but de présenter une étude systématique et ordonnée du double principe qui fonde les sociétés démocratiques : l’égalité de conditions et la souveraineté populaire qui en découle. De l’aveu même de Tocqueville, il s’agit ici de s’interroger sur « la marche que [la démocratie] imprim[e] au gouvernement [...] » ainsi que sur « les biens et les maux produits par elle » (Introduction, p.69). 

L’enchaînement des chapitres obéit à une logique rigoureuse qui doit permettre, pour Tocqueville, de présenter de la manière la plus « neutre » possible la marche et les effets de la démocratie dans un pays jeune et (quasiment) vide avant l’arrivée des premiers colons (nous reviendrons dans le cours sur l’analyse que fait Tocqueville des sociétés indiennes antérieures à ce « moment fondateur » que constitue pour lui le débarquement des premiers « pèlerins » puritains en Nouvelle-Angleterre). 

Précisons tout de suite que « neutre » ne veut pas dire ici que Tocqueville se contente de décrire techniquement et dans une seule visée « documentaire » les institutions et la société américaine : cette description très informée sert au contraire de fondement à une réflexion poussée sur les avantages et les inconvénients (« les maux et les biens » évoqués plus hauts) d’un gouvernement démocratique, ainsi que sur les causes de ceux-ci. Malgré ce qu’il dit lui-même de sa volonté de ne pas porter de jugement de valeur sur la « révolution sociale » (« je n’ai même pas prétendu juger si la révolution sociale [...] était avantageuse ou funeste à l’humanité », Introduction, p.69), il est très explicite sur la nécessité qu’il ressent de « trouver des enseignements dont nous puissions profiter » (p.68) pour améliorer la mise en œuvre de la démocratie dans nos propres sociétés. 

 

Une enquête sur le phénomène démocratique


Car Tocqueville part en effet d’un constat très clair : la démocratie, caractérisée par l’égalité de condition, est un processus universel, continu, inéluctable et irréversible (« Le développement graduel de l’égalité de conditions est donc un fait providentiel, il en a les principaux caractères : il est universel, il est durable, il échappe chaque jour à la puissance humaine ; tous les évènements comme tous les hommes, servent à son développement », Introduction, p.60). En conséquence, il ne sert à rien de tenter d’entraver la marche de la « Révolution démocratique » que connaissent tous les pays européens, et notamment la France. Il faut plutôt tenter de la comprendre pour en mesurer les effets et, malgré tout, essayer d’en tirer le meilleur, en évitant le pire, afin « d’apercevoir, s’il se peut, les moyens de la rendre profitable aux hommes » (Introduction, p.69). 

Dans ce but, il se tourne vers les Etats-Unis d’Amérique, car cet Etat lui semble fournir le meilleur exemple d’un régime politique fondé sur les principes démocratiques. Son histoire est à la fois assez jeune pour que les effets directs et spécifiques de la démocratie puissent y être décelés sans « interférence » avec d’autres éléments historiques, et assez ancienne déjà pour fournir quelque recul à l’analyse. Mais la considération des institutions et de la société américaine est à tout moment pensée comme un moyen de mieux comprendre les sociétés européennes, dont l’histoire beaucoup plus ancienne est trop troublée pour permettre une analyse précise. 

L’ouvrage d’Alexis de Tocqueville propose donc une réflexion politique théorique informée par l’exemple empirique que sont les Etats-Unis de son époque. A partir de cette analyse, il entend avant tout « instruire la démocratie »(Introduction, p.61), c’est-à-dire à la fois ceux qui gouvernent les sociétés démocratiques, mais aussi ceux qui vivent sous ce gouvernement : « Instruire la démocratie, ranimer s’il se peut ses croyances, purifier ses mœurs, régler ses mouvements, substituer peu à peu la science des affaires à son inexpérience, la connaissance de ses vrais intérêts à ses aveugles instincts ; adapter son gouvernement aux temps et aux lieux ; le modifier suivant les circonstances et les hommes : tel est le premier devoir imposé de nos jours à ceux qui dirigent la société. Il faut une science politique nouvelle à un monde tout nouveau » (Introduction, p.61-62). 

Dans une société démocratique, les principes d’égalité de conditions et de souveraineté populaire font de chacun de nous ces dirigeants de la société qu’évoque Tocqueville et auxquels il tente d’apporter quelque lumière sur la marche de notre monde. Il est donc toujours temps de continuer à nous instruire avec lui. 

 

Déroulement du cours

L’objectif du cours est de procéder, sur deux ans, à la lecture méthodique de l’ouvrage. Nous commencerons cette année par la lecture et le commentaire du 1er tome : nous étudierons au premier semestre la Première Partie du tome 1 (8 chapitres) et au second semestre la Seconde Partie (10 chapitres). 

Chaque séance consistera dans le commentaire détaillé d’un ou deux textes tirés successivement des différents chapitres de l’ouvrage et qui permettront d’avancer d’une fois sur l’autre dans la lecture suivie de l’œuvre. Nous nous arrêterons évidemment sur toutes les questions qui pourront surgir au cours de la lecture de chacun : elles nous permettront de faire le lien entre les extraits choisis, en nous attachant à bien dégager le mouvement général et détaillé de l’ouvrage. Nous vous invitons à consulter, dans la rubrique « Extraits » du site, la liste des textes qui seront commentés plus précisément en cours. Elle sera complétée au fur et à mesure par de nouvelles références. 

Le cours s’appuiera sur l’édition GF de 1981 en deux tomes, qui reprend la 13e édition du texte de Tocqueville, que nous recommandons d’acquérir (les références des textes commentés en cours seront tirées de cette édition). Une version du texte libre de droits est également disponible en ligne et pourra être consultée aisément ici.