Cette conférence a été donnée le 29 septembre 2022, à la Maison Auguste Comte, à l’occasion de la publication du numéro des Cahiers philosophiques consacré à Augustin Comte. Elle constitue une réflexion sur le sens et la portée du dernier ouvrage d’Auguste Comte, la Synthèse subjective, et invite à méditer la richesse de la pensée mathématique qui s’y déploie.
La Synthèse subjective, dernier ouvrage d’Auguste Comte, est une œuvre unique en son genre qui se caractérise d’abord par une extrême densité : le terme de synthèse n’a jamais été aussi justifié. C’est d’abord un cours complet de mathématiques, de l’arithmétique à la mécanique en passant par l’algèbre et la géométrie, qui a la précision des meilleurs traités didactiques. Et ceci est déjà remarquable : on y retrouve l’essentiel des Eléments d’algèbre et de géométrie de Clairaut, les principales découvertes d’Archimède et d’Apollonius, une reprise de tout ce que Comte avait déjà exposé dans son Traité élémentaire de géométrie analytique, une théorie complète de la différentiation et de l’intégration qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans son oeuvre, et j’en passe. Mais le livre propose en même temps une « philosophie mathématique », en un double sens : d’abord, comme Comte l’affirme dès ses écrits de jeunesse, au sens où philosophie signifie esprit d’ensemble ; d’autre part et corrélativement, au sens où la philosophie rapporte tout à la fin dernière de l’humanité. Comme cette fin dernière est l’unité humaine, qui suppose non seulement la systématisation de nos connaissances du monde extérieur, mais aussi et surtout la subordination de l’égoïsme à l’altruisme, comme elle est donc de nature morale en même temps que théorique, cette philosophie des mathématiques s’inscrit en outre dans une perspective religieuse (la religion étant ce qui relie). C’est la dimension la plus étonnante de l’ouvrage : Auguste Comte ne se contente pas de réfléchir au rôle que les mathématiques doivent jouer dans le progrès individuel et collectif des hommes, mais, grand prêtre de l’humanité, il rend déjà cette amélioration effective en rédigeant (selon des règles très codifiées, j’y reviendrai) les leçons sur lesquelles le futur sacerdoce positiviste devra s’appuyer pour « régénérer » l’enseignement des mathématiques. Les lecteurs auxquels Comte s’adresse dans cet ouvrage, ce ne sont certainement pas les mathématiciens de son temps, ni les historiens des sciences, mais les futurs maîtres des « jeunes disciples de l’Humanité ».