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Peut-il y avoir un “Newton du brin d’herbe” ?

Ce cours de philosophie des sciences a été dispensé à une classe de Khâgne, pendant le premier confinement au début de l’année 2020. Il constitue une introduction substantielle à la philosophie de la biologie et aux difficultés que le vivant oppose à la réflexion philosophique.

Il est complété par quatre exposés d’histoire des sciences, qui permettront d’illustrer quelques uns des problèmes soulevés par le cours.

Il semblerait ridicule aujourd’hui, à propos de la biologie et de ce qu’on appelle plus vaguement « sciences de la vie », de se demander si ce sont vraiment des sciences, question qu’on peut en revanche légitimement se poser concernant les prétendues « sciences de l’homme ». Si nous reprenions les critères indiqués par Kant dans sa préface à la seconde édition de la Critique de la raison pure, il serait facile de montrer que les sciences du vivant ont trouvé « la voie sûre d’une science ». Les biologistes sont tous d’accord sur les principes : par exemple aucun biologiste sérieux ne doute aujourd’hui de l’évolution des espèces, ni du mécanisme de la respiration cellulaire ou de la photosynthèse. Ils ont capables de faire des prévisions fiables, par exemple sur l’évolution d’une maladie, ce qui ne veut évidemment pas dire que l’on sait tout prévoir.

Néanmoins, il est important de nous demander ce qui distingue ces sciences des sciences de la matière inerte. Bien sûr leur objet. Mais la question est de savoir si l’on peut étudier un objet vivant avec les même méthodes qu’un objet mort ou inerte. Ou bien les phénomènes de la vie ont-ils quelque chose d’irréductible aux autres phénomènes, qui nécessite la mise en place de méthodes particulières pour leur connaissance ? Plus précisément, lorsqu’on étudie les parties d’un organisme, on associe à chaque organe ou chaque système d’organes une fonction : le cœur sert à faire circuler le sang, les poumons à respirer, les yeux à voir, etc. Or cette fonction implique l’idée de finalité. On pourrait dire aussi bien : « les yeux sont faits pour voir ». Mais justement l’idée de finalité fait partie de ces idées dont la physique et la chimie ont dû se débarrasser pour devenir des sciences. On peut donc se poser la question : la biologie doit-elle elle aussi se passer de l’idée de finalité, au risque de faire disparaître son objet (car un organe coupé de sa fonction n’est plus un organe, au sens étymologique du terme) ? Ou bien, au contraire, la notion de finalité est-elle légitime dans les sciences de la vie alors qu’elle ne l’est pas en physique ? Et dans ce cas quelle est la méthode qui permet à la biologie d’intégrer cette notion de finalité sans perdre son caractère scientifique ?

La Synthèse subjective et l’enseignement des mathématiques

Cette conférence a été donnée le 29 septembre 2022, à la Maison Auguste Comte, à l’occasion de la publication du numéro des Cahiers philosophiques consacré à Augustin Comte. Elle constitue une réflexion sur le sens et la portée du dernier ouvrage d’Auguste Comte, la Synthèse subjective, et invite à méditer la richesse de la pensée mathématique qui s’y déploie.

  

La Synthèse subjective, dernier ouvrage d’Auguste Comte, est une œuvre unique en son genre qui se caractérise d’abord par une extrême densité : le terme de synthèse n’a jamais été aussi justifié. C’est d’abord un cours complet de mathématiques, de l’arithmétique à la mécanique en passant par l’algèbre et la géométrie, qui a la précision des meilleurs traités didactiques. Et ceci est déjà remarquable : on y retrouve l’essentiel des Eléments d’algèbre et de géométrie de Clairaut, les principales découvertes d’Archimède et d’Apollonius, une reprise de tout ce que Comte avait déjà exposé dans son Traité élémentaire de géométrie analytique, une théorie complète de la différentiation et de l’intégration qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans son oeuvre, et j’en passe. Mais le livre propose en même temps une « philosophie mathématique », en un double sens : d’abord, comme Comte l’affirme dès ses écrits de jeunesse, au sens où philosophie signifie esprit d’ensemble ; d’autre part et corrélativement, au sens où la philosophie rapporte tout à la fin dernière de l’humanité. Comme cette fin dernière est l’unité humaine, qui suppose non seulement la systématisation de nos connaissances du monde extérieur, mais aussi et surtout la subordination de l’égoïsme à l’altruisme, comme elle est donc de nature morale en même temps que théorique, cette philosophie des mathématiques s’inscrit en outre dans une perspective religieuse (la religion étant ce qui relie). C’est la dimension la plus étonnante de l’ouvrage : Auguste Comte ne se contente pas de réfléchir au rôle que les mathématiques doivent jouer dans le progrès individuel et collectif des hommes, mais, grand prêtre de l’humanité, il rend déjà cette amélioration effective en rédigeant (selon des règles très codifiées, j’y reviendrai) les leçons sur lesquelles le futur sacerdoce positiviste devra s’appuyer pour « régénérer » l’enseignement des mathématiques. Les lecteurs auxquels Comte s’adresse dans cet ouvrage, ce ne sont certainement pas les mathématiciens de son temps, ni les historiens des sciences, mais les futurs maîtres des « jeunes disciples de l’Humanité ».