Mort

Septième partie : la justice suivant l'esprit, la question de la meilleure des vies

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La section précédente est consacrée à une lecture des livres VIII et IX de la République. Il s'y est agi, en suivant le fil continu des cités injustes, de conduire une réflexion sur l'idée de décadence, et sur la place des idées dans l'histoire. En décrivant successivement les cités imparfaites, Platon propose en effet une réflexion sur les sources de la corruption et de la dégradation de l'ordre politique : celles-ci naissent toujours d'une certaine fatalité frappant l'éducation, de moins en moins bien conduite puisqu'il revient toujours à des pères fautifs d'éduquer leurs fils. Il n'y a donc pas à s'étonner de ce que le monde va mal : nul n'a su nous en expliquer d'abord correctement la marche, et nous ne cessons de courir après les lacunes de nos ainés.

Cette méditation sur le cours des choses humaines se doublaient encore chez Platon d'une tentative symétrique pour penser notre vie morale, c'est-à-dire les tours et détours de nos exigences. La cité est ainsi une image agrandie de l'existence individuelle. L'homme le plus tempéré a ainsi ses moments d'ambitions et d'avarice, d'incohérence comme de fidélité. Il s'agit alors de comprendre la raison de nos humeurs, et le chemin par lequel les guider et peut-être s'en rendre maître. Il ne sert à rien en effet de réclamer d'un envieux qu'il se fasse généreux en un claquement de doigt. De même que la politique possède sa fatalité propre, une mécanique morale pèse sans cesse sur nos volontés : ainsi l'honneur engendre-t-il l'avarice ; et l'indifférence la tyrannie.

Le livre X et la question de la meilleure des vies

Notre ambition sera de mener enfin notre lecture de l'ouvrage à son terme, c'est-à-dire de lire et commenter le livre X. Si son intelligence nécessitera de revenir sur les pages du livre IX où Socrate récapitule l'ensemble du parcours, cette ultime partie du propos ne constitue pourtant pas une conclusion en n'importe quel sens. On verra en effet qu'elle développe une réflexion autonome et d'une rare profondeur sur le sens de notre liberté.

Mais parler de liberté sera peut-être trompeur : car les anciens ne pensent la question morale qu'à l'aune de son objet principal, notre propre vie. Ils ne se perdaient point dans le narcissisme philosophique, et allaient droit à l'essentiel : quelle vie vivre? Comment bien vivre? Nulle trace donc d'existentialisme ou d'inquiétude "métaphysique". L'objet de l'interrogation morale porte sur la "meilleure des vies", et tel est bien l'objet de la République dans son ensemble, et particulièrement de son dernier livre.

L'année en évoquera ainsi les moments essentiels, de la réflexions sur la poésie, qui nous amènera à comprendre en quoi les traditions et les romans obscurcissent notre jugement moral, jusqu'au mythe d'Er le Pamphylien, où notre condition terrestre est dépeinte à partir d'une vision de l'après-vie. Car s'il n'y a pas d'autre vie que la nôtre, peut-être seul le point de vue des morts permet-il de la juger réellement.



Séance du 7 février 2014 : Y a-t-il des vies meilleures que d’autres?

Nous aborderons cette nouvelle année avec les pages que le livre IX de la République consacre, sur sa fin, à la position de la question morale : celle de la meilleure des vies. Cette interrogation vient ainsi conclure l'ensemble de la réflexion sur la justice qui domine l'ouvrage.

On ne saurait en effet défendre la justice autrement, pour Socrate, qu'en montrant que le juste fait en quelque sorte "le bon choix", en pariant sur la vertu et en se défiant de l'injustice. LA morale, pour Platon, n'est donc ni moralisante, ni sacrificielle : elle consiste à trouver le véritable bonheur.

Le philosophe, l'ambitieux et l'avare

Pour le comprendre, nous partirons de la distinction proposée entre trois types de vie, celle du philosophe, celle de l'ambitieux et celle de l'avare, et lirons donc particulièrement cette page du livre IX: [580e-583b).

Nous verrons en effet que cette tripartition revient à désigner trois des principaux désirs qui peuvent gouverner nos vies : le désir de la sagesse (philosophia), celui de la gloire (philonikon) ou celui de l'argent (philokerdes). Comment pourtant comparer des désirs et des biens si différents ? Peut-on même juger du bonheur d'autrui, et hiérarchiser les plaisirs ?

Nous verrons donc que se pose d'emblée la question de la possibilité d'une "vérité" en matière morale. Peut-on en effet véritablement "peser" les âmes et les vies? Juger absolument du bonheur ou du malheur d'autrui ?


Séance du 6 mars 2014 : le gouvernement de soi et la liberté

Notre séance précédente avait pour but de présenter le travail du semestre. Nous parlerons cette année essentiellement de morale, en posant, avec Socrate, la question de la meilleure des vies. Il ne s'agira donc pas de discuter de ce qu'il faut faire, de ce qui serait ou non notre devoir, mais de juger quelle vie mérite d'être véritablement vécue, parce qu'elle nous rendra le plus réellement heureux.


Si le cours précédent a ainsi posé la question du type de vie à mener, et de la possibilité de comparer et de peser le bonheur des uns et des autres, cette nouvelle séance nous permettra pour sa part de comprendre en quel sens la liberté est bien le présupposé de tout choix humain.

Notre vie est notre oeuvre en effet ; aussi la liberté n'est-elle point quelque faculté mystérieuse, que manifesteraient des états limites ou des états de crise. Pour Platon, elle est l'expression même de notre caractère et de tout ce que traduit la façon dont nous nous gouvernons nous-mêmes. En cela, la liberté est un principe de gouvernement de soi. Car le fou ou l'intempérant lui-même se gouverne ; ou plutôt il se livre à sa propre politique, qui est la licence même.

On s'appuiera ici sur la fin du livre IX de la République et particulièrement sur les pages [588b-590a].



Séance du 14 mai 2014 : la poésie et les dangers de l’imitation

Après une longue interruption, nous reprendrons la lecture de la République en abordant un passage célèbre de l'ouvrage : la condamnation des poètes et de leur art à l'orée du livre X. L'analyse de l'imitation (mimésis) doit en effet nous apprendre à mesurer combien nos choix moraux, nos choix de vie, sont d'abord essentiellement tributaires des apparences peintes par les poètes. Nous retrouvons ici un thème évoqué à de multiples occasions dans cet atelier.

Mimesis et liberté

Et c'est qu'au-delà d'une réflexion sur l'art poétique, et plus généralement sur l'art d'imiter, ces pages posent qu'il n'y a de moralité qua dans l'enracinement dans le réel. Loin de fonder nos actions dans des "idées" qui dépassent notre réalité, Platon est donc bien un penseur prosaïque et réaliste : la vie bonne est à trouver sur terre.

Nous lirons principalement les pages allant de 598a à 610b, en nous attachant à trois points essentiels : a) la dimension ontologique de la distinction entre l'idée, la chose et son image ; b) le déboulonnage de l'idole poétique en la personne d'Homère et d'Hésiode : pour Platon, les poètes et les artistes ne sont pas des grands hommes ; c) l'examen des conséquences morales d'une éducation bercée par les illusions lyriques et poétiques.



Séance du 12 juin 2014 : la vie après la mort et la vie pendant la vie…

Je conclurai ce jour cette saison de lecture un peu erratique (je m'en excuse!) de la République par une réflexion sur le dernier mouvement de l'ouvrage. Le livre X conclut en effet la réflexion sur la justice par une méditation de nature religieuse sur les récompenses qui attendent l'homme juste après la mort et les châtiments réservés aux méchants.

Ces pages sont d'autant plus étranges si l'on se souvient que le dialogue a véritablement commencé, au livre I, lorsque le vieux Céphale prend congé de l'assistance pour aller sacrifier aux dieux. Par là, il fallait comprendre que l'interrogation philosophique suppose que l'on abandonne le souci de soi et l'inquiétude du salut ; c'est en "fils de la terre" que Socrate discute de la justice. Quel sens accorder donc au retour du thème de l'après vie dans le contexte final d'une réflexion morale?

Nous verrons que Platon philosophe sur la mort non pas comme sur un dehors ou une limite extérieure devant révolutionner l'intelligence de notre liberté, en ce sens il n'y a pas de "révélation" à attendre de notre mortalité, mais bien comme la métaphore et l'image même de notre existence terrestre. Aussi la vie après la mort constitue-t-elle peut-être avant tout l'idée à partir de laquelle penser "la vie pendant la vie".

Immortalité et mortalité de l'âme

La séance s'appuiera particulièrement sur deux passages. Nous lirons d'abord les pages où Socrate propose une démonstration de l'immortalité de l'âme en [610a-611a] Le superstitieux et le devot pourraient toutefois bien rester ici sur leur faim... Car loin d'asseoir une théologie, l'argumentation platonicienne vise essentiellement à distinguer la vie de l'âme de celle du corps. Il s'agira donc d'abord de comprendre que l'âme meurt de lâcheté et d'injustice, comme le corps de maladie. En ce sens, penser l'immortalité de l'âme n'est point réfléchir à la permanence de notre personnalité. C'est comprendre que la mesquinerie et le calcul ne sont point la vie pour un véritable esprit, mais une mort vivante.

Nous aborderons alors le passage célèbre où l'âme, ainsi distinguée de "l'identité personnelle" ou du "caractère" d'un homme, est comparée à une statue engloutie, recouverte des mille scories de l'océan [611d-612b]. Nous devrons ainsi émonder l'âme des attributs du corps comme des vissicitudes de l'existence commune pour découvrir sa vraie nature, qui est essentiellement désir et éros.

Nous terminerons donc cette année de lectures intermittentes au bord du mythe d'Er, récit conclusif où converge l'ensemble des thèmes de l'oeuvre.