Cinquième partie / L'ordre philosophique ou la question de l'éducation

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Les livres centraux de la République forme un traité complet de philosophie : ils en marquent la nature provocatrice et paradoxale, en soulignent la fin ultime (l’intelligence du Bien) et en explicitent la condition générale, qui est d’organiser une sortie problématique hors du monde social de l’opinion. Nous abordons ici le dernier tiers de ce “traité” en voyant comment la passion philosophique demande à être éduquée et disciplinée par un parcours encyclopédique des différentes sciences de l’homme.

La lecture du livre VII constitue en ce sens un passage dense et parfois un peu abstrait puisque Socrate va y détailler à la fois un plan éducatif, une institution scolaire si l'on veut, et une revue critique des sciences accessibles à l'homme : une philosophie des sciences culminant dans la caractérisation de la science suprême, propre au philosophe, la dialectique. Il nous faudra ainsi comprendre pourquoi, en matière d'éducation, on ne saurait séparer la question de la transmission, de la pédagogie, et celle de la nature même du savoir.

Mais nous ne devrons pas pour autant oublier le sens et la portée du livre VII dans la perspective globale de l'oeuvre. Le projet éducatif platonicien ne cesse jamais en effet d'être lié à une conception de la morale et de la politique qui gouverne l'ensemble des développements. En réfléchissant sur la science et sa perfection propre, il s'agit toujours de poser la dépendance de la justice à l'égard de la capacité à penser le vrai. Aussi les questions éducatives ne sont-elles pas simplement un domaine parmi d'autres de la réflexion morale et politique, mais en constitue le coeur.


Cette partie du cours couvre la seconde moitié de l’enseignement dispensé durant la quatrième année de l’Université Conventionnelle (2011-2012). Elle prend donc la suite immédiate du commentaire de l’allégorie de la caverne sur laquelle se conclut, dans la réédition proposée ici, la quatrième partie de cette longue lecture suivie.


Séance du 2 février 2012 : Le premier barreau de l’échelle des sciences, l’arithmétique

Notre commentaire de la caverne achevé, nous allons aborder l'échelle des sciences qui constitue l'éducation du philosophe-roi. Comment former un esprit à penser par lui-même?

Platon ne laisse pas planner de doute : il faut commencer par les mathématiques ; c'est en effet par l'étude des nombres qu'on peut réellement éveiller l'esprit à lui-même. C'est du moins ce que nous essaierons de comprendre en nous interrogeant sur l'idée d'unité, et sur tout ce qui distingue le dénombrement (art aussi général que nécessaire!) du véritable calcul, qui est l'intelligence des relations numériques et des propriétés des nombres.


Séance du 16 février 2012 : “Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre”

Nous poursuivrons la lecture du livre VII en avançant dans le plan d'éducation proposé par Platon pour éduquer les philosophes. En effet, s'il faut faire succéder à l'allégorie de la caverne, qui résume et éclaire notre condition à l'égard du savoir, une revue des sciences nécessaires à l'institution d'un esprit libre, c'est qu'on ne peut se limiter à "critiquer" la doxapour en sortir.

Aucune bonne volonté ne dispense de méthode et de patience. C'est la leçon à tirer du détour par l'étude des mathématiques. L'arithmétique en effet nous a permis de comprendre de quelle sorte sont les idées. La géométrie, de même, doit familiariser l'esprit à juger d'après les lois de l'esprit seul, et non en suivant les indications confuses de la sensibilité.

Notre réflexion sur la géométrie s'appuiera alors particulièrement sur les pages du livre VII courant de 526c à 528a ainsi que sur une page célèbre de Plutarque.

Nous essaierons alors de tirer de cette réflexion sur la géométrie une méditation plus profonde sur l'articulation entre science, politique et technique, notamment en s'appuyant sur la pensée de Simone Weil.Il se peut en effet que l'oubli de la dimension propédeutique de la science, sa vocation à se faire culture, ne soit pas pour rien dans la confusion de notre temps.


Séance du 15 mars 2012 : L’astronomie et la leçon des étoiles

Notre réflexion précédente sur la géométrie a été l'occasion de comprendre un peu mieux ce que signifie comprendre et savoir pour Platon. Si la science est intelligence pure des rapports idéaux, non seulement la géométrie doit être distinguée de ses applications pratiques, comme le bornage des champs ou le perfectionnement des catapultes, mais il nous faut proscrire toute méthode relevant, en science, de la résolution technique des difficultés proprement théoriques. Autrement dit, ce qui est en jeu dans la réflexion sur la géométrie, c'est l'intégrité du domaine intelligible lui-même. Nous avons pu nous en assurer en prolongeant ce commentaire par une réflexion sur les confusions actuelles qui grèvent le discours scientifiques.

Nous poursuivrons aujourd'hui le travail sur l'échelle des sciences en lisant le passage du livre VII consacré à l'astronomie (528e-530c). S'il nous faut en effet en passer par l'étude des astres, c'est parce que cette étude permet d'élever l'esprit à une géométrie supérieure, qui celle du mouvement. C'est donc pour sa valeur méthodologique qu'il faut étudier la mécanique céleste, et non, dans un sens religieux, pour s'ébahir du spectacle des cieux.

On pourra ainsi conduire notre lecture jusqu'à une réflexion plus large sur le ciel, et la fascination que l'homme ne peut manquer d'avoir pour lui. On s'appuiera alors peut-être sur ce passage du Cours de philosophie positive de Comte.

Pour les esprits étrangers à l'étude des corps célestes, quoique souvent très éclairés d'ailleurs sur d'autres parties de la philosophie naturelle, l'astronomie a encore la réputation d'être une science éminemment religieuse, comme si le fameux verset : Caeli enarrant gloriam Dei avait conservé toute sa valeur (...) aujourd'hui, pour les esprits familiarisés de bonne heure avec la vraie philosophie astronomique, les cieux ne racontent plus d'autre gloire que celle d'Hipparque, de Newton, Newton, et de tous ceux qui ont concouru à en établir les lois.]i

Auguste Comte, Cours de philosophie positive, 19ème leçon, volume II, 1835.



Séance du 29 mars 2012 : La dialectique et le mouvement de la pensée

Après avoir parcouru quelques unes des sciences préliminaires caractérisées au livre VII, nous allons aborder, avec la dialectique, la science qui doit couronner l'éducation des philosophes, et mener ces derniers sur le chemin de l'intelligence du Bien. Nous verrons pourtant que Socrate s'échappe encore : ses approches de la dialectique nous laissent sur notre faim.

Il faudra en effet mesurer en quoi celle-ci consiste moins en un domaine spécifique, une science "surnaturelle", que dans une certaine manière de repenser son rapport au monde. C'est poursuivre et peut-être achever la réflexion sur la nature de la philosophie inaugurée au livre VI.

La philosophie n'est pas, comme la science, un discours assignable à une méthode unique et close sur elle-même. A la différence des sciences hypothétiques, elle se donne son objet à mesure qu'elle le pense, en sorte que penser n'est autre chose que déployer la liberté de la pensée elle-même.


Séance du 12 avril 2012 : Parenthèse sur la notion de “bien”

La discussion ayant suivie la dernière séance nous conduit du commentaire de la fin du livre VII de la Républiqueà une réflexion plus large sur la question du bien. Dire en effet de la dialectique qu'elle se définit ar son objet (le bien), et s'en tenir à remarquer que ce dernier est sans doute constamment présupposé par nos discussions et nos jugements, tout cela est bien intéressant mais ne nous éclaire guère au final....

Que faut-il entendre par "bien", et pourquoi en parler au fond, si chacun voit midi à sa porte ? Telle sera la question que nous tenterons d'éclaircir durant cette petite digression. Celle-ci s'appuiera de plus ou moins près sur l’ouvrage de Léo Strauss, Droit naturel et histoire (1953).

Attention ! L'enregistrement a été amputé des cinq premières minutes.


Séance du 30 mai 2012 : L’unité de la science et de la liberté, objet de la philosophie

Nous conclurons cette année par la lecture de la fin du livre VII de la République. Ce sera l'occasion de reprendre la question qui a dominée notre travail de lecture depuis plusieurs séances : peut-on connaître le bien, et si oui comment cette science pourrait-elle être enseignée?

Car la caverne platonicienne est bien une métaphore de notre ignorance, et des moyens de la surmonter, mais elle constitue également une parabole politique qui nous permet de mesurer que la science la plus parfaite n'existe que si la possibilité de son enseignement est ménagée politiquement. Réciproquement, une société n'a ainsi que les lumières qu'elle mérite et autorise.

La philosophie, avec Platon, consiste dès lors à méditer de l'unité de la liberté et de la science, ou plutôt de leur commun destin, face aux tempêtes des passions que la politique agite.


Attention ! La première demi-heure de l'enregistrement est bruyante : une réunion se terminait dans la salle d'à côté... Cela s'arrange par la suite! Désolé de ce désagrément...