Balzac

Lire Balzac

"Balzac guérit de misanthropie ; c'est à cela qu'il est bon, par tous ces génies, enchaînés, en bas, en haut, partout inventeurs et poètes, et pensant selon leur forme et selon la pierre d'angle. Les bien comprendre, c'est toute l'affaire, et pardonner va de soi. J'ai remarqué que, même pour penser vrai des hommes, il faut les aimer de cette rude manière que Balzac nous apprend." Alain, Avec Balzac.

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De Balzac, que nous reste-t-il en notre vie d'adultes? Quelques souvenirs d'écoles, de vagues figures, et des lieux communs que nous ne poussons guère, par la force des choses. Bien peu sans doute, pour qui ne fait profession de lire. 

Mais pour qui voudrait se donner du champ, pour qui voudrait se donner le temps de lire en toute indifférence à la foire aux livres et aux "rentrées littéraires", que peuvent encore nous dire les noms de Rastignac, Goriot, Chabert, ou Vandenesse? Que peuvent-ils nous apprendre qui justifie l'admirable unité, l'admirable continuité de l'oeuvre ? 

 

Entre 2010 et 2012, l'Université conventionnelle organisa une demi-douzaine d'ateliers autour de la Comédie humaine. Le principe était simple : se donner six semaines pour lire un roman choisi ensemble, puis se retrouver pour présenter une lecture et en discuter. Je réédite ici les 6 lectures que j'avais assurées moi-même, réunies en une liste de lecture sur notre compte soundcloud.

  

Le Lys dans la vallée, 14 novembre 2010

Du Lys dans la Vallée, Alain disait qu'on pouvait le résumer ainsi : "c'est l'histoire des Cent Jours vus d'un chateau de la Loire." En rappelant ce que ce mélodrame bien connu devait à la politique, il s'agissait pour Alain de permettre au lecteur distrait de rompre avec une vision partielle et sentimentale d'un récit où les passions n'existent en réalité que liées presque ironiquement au destin commun. On trouverait ainsi à lire, ou à relire, dans le Lys un peu plus que l'image compassée qui a parfois détourné les lecteurs. 

Ainsi Félix lie par exemple dès le début sa pureté d'âme aux hasards qui voulurent que sa mère, revenant à Paris afin de placer sa famille dans l'imminente restauration de 1814, l'arrêta aux bords du Palais-Royal et de ses amours tarifés. À quoi tient une vie..! 

Ce n'est toutefois pas que l'amour entre Félix de Vandenesse et Henriette de Mortsauf soit un simple effet, et avec lui les effusions si célèbres des amants, l'idylle champêtre peint dans la scène des vendanges, etc. ; c'est seulement que nos grâces mêmes sont le partage des occasions. Les sentiments naissent du sol et de l'époque, certes, mais sont comme sauvés par la sincérité qui nous les fait accueillir et partager sans les excuses des doubles intentions ou des méprises. Félix et Henriette, s'ils ne savent bien ce qu'ils désirent de l'autre, du moins ne savent se mentir. 

Cette manière d'admettre les hasards de la vie sauve alors les amants du marivaudage. Nous aimerions donc que cette lecture soit l'occasion d'une méditation sur ce que nous devons dans nos sentiments mêmes aux hasards du monde. 

Nous lirons le texte dans l'édition du Livre de poche (1461) ; mais toute édition fera l'affaire

Le Colonel Chabert, 23 janvier 2011

Autant le dire immédiatement. Nous lirons avec ce court roman une histoire de fantômes et de revenants. Hyacinthe Chabert s'extrait en effet, au sens strict, d'une tombe et s'arrache de la montagne de cadavres des guerres napoléoniennes, pour venir, après des années d'errances, en pleine Restauration réclamer son dû. 

Que veut-il? Seulement qu'on lui rende la vie que la guerre et la politique ont détruite, retrouver sa place parmi les vivants, renouer avec un avenir qui consiste d'abord à lui accorder le droit d'un présent et d'un nom. Il ne trouvera qu'une nouvelle persécution et un exil final au pays des morts-vivants, c'est-à-dire à l'hospice. Retour à la case départ pour l'enfant trouvé dont la jeunesse fut une épopée militaire et sociale. 

L'histoire, pour Balzac, ne peut ainsi que hanter la société, sans parvenir à en nourrir et étayer les oeuvres ; elle nous voue à l'existence spectrale du souvenir : son lieu est dans l'ordre des symboles, et pas ailleurs. Car la place doit rester nette pour la vie : les passions et les guerres nouvelles, de société ou d'argent. Car que croyons-nous réellement devoir aux vieilles histoires? L'oubli est la politesse des ambitieux. 

Roman du passé, mais aussi du droit, Le colonel Chabert paraît ainsi condamner toute oeuvre de justice à l'égard d'un passé dont la résurgence entrave sans cesse les vivants. Car la justice y est peinte dans ses complications et son impuissance même : instrument des forts contre les faibles, le tribunal et le code se font l'expression de la volonté de vivre et de s'imposer qui sépare le vieil honneur de Chabert de la ruse procédurière de la Comtesse, son ancienne femme. 

Nous lisons ici le texte dans l'édition Folio classique (593).

 

La duchesse de Langeais, 7 novembre 2010

Les amours contrariés d'un soldat de Napoléon revenu du désert et comme de la mort même avec une aristocrate coquette et reine de la mode, voila de quoi décliner en même temps que des motifs romanesques la trame d'un drame profond : celui des malentendus et des distances que les jeux sociaux tissent entre ceux qui croient s'aimer. 

Balzac fait ainsi plus que se venger, dans ce roman, d'une amante fuyante. Il nous peint en effet des personnages dominés par les exigences contraires de leur volonté souveraine, impérieuse autant dans le désir de Montriveau que dans la fierté d'Henriette de Langeais, et d'une société impitoyable. Ainsi les grandes âmes ne peuvent-elles que s'écorcher les unes aux autres et chercher dans la colère ou la retraite un dénouement que refuse toujours le simple devenir.

 

 

César Birotteau, 2 avril 2011

Drame pathétique et bourgeois, ou parabole des forces économiques dominant l'existence humaine, que nous dit encore le César Birotteau de Balzac? 

La description de l'ascension puis de la déconfiture commerciale d'un parfumeur royaliste, au début de la Restauration, n'est pas le sujet le plus romanesque qu'on puisse imaginer. Et il est vrai que le roman de Balzac n'a sans doute pas le charme et le souffle de ses textes les plus flamboyants (comme la Duchesse de Langeais par exemple...), comme son héros, il navigue dans le prosaïsme bourgeois. 

Mais parce que l'art du romancier parvient à entremêler à ce drame d'argent une peinture sociale complexe et détaillée ainsi qu'une profonde méditation morale sur la force des vertus dans un monde de médiocrité, le lecteur ne perdra pas son temps, selon nous, en compagnie de César, Popinot et le banquier du Tillet...

 

Les mémoires de deux jeunes mariées, 18 février 2012

Cette nouvelle séance sera consacrée au célèbre roman épistolaire paru en 1841, Les mémoires de deux jeunes mariées. 

Nous y suivrons les destins croisés de deux figures de l'amour romantique, passionnel et conjugal, dont l'opposition et la mise en regard s'avèrent sans doute moins manichéennes qu'on pourrait le croire à première vue. Outre la forme épistolaire, qui laisse l'action dans l'ombre, ou plutôt ne la fait paraître qu'au prisme des passions des deux jeunes mariées, le roman ouvre des perspectives intéressantes sur l'oeuvre de Balzac en posant la question du rêve romanesque, et de l'expérience du monde...

 

La recherche de l'absolu, 31 mars 2012

 

La recherche de l'absolu, paru pour la première fois en 1834, suit le savant et chimiste Balthazar Claës dans sa quête de l'élément constitutif du monde, l'absolu. Cette quête va le conduire à dévorer sa fortune, et exposer sa famille aux dangers de la misère, de la ruine et de la honte, et finalement à la mort. 

Roman philosophique ayant pour trame de fond une Flandres romantique, Balzac y noue deux grands fils de son oeuvre, deux grands défis lancés à la volonté humaine : la recherche de la vérité et les serments du coeur. Il conduit ainsi une réflexion sur la place du génie dans une société tissée de liens moraux, comme de liens d'argent, et propose une parabole profonde à partir de laquelle méditer nos devoirs à l'égard des idées, comme des hommes.