iL n'y a de Bien et de Mal que pour des hommes

Dans cette série d'extraits, Spinoza nous montre que les notions de Bien et de Mal ne prennent sens que pour la communauté humaine - au sein de laquelle elles prennent toutefois une valeur absolue. Spinoza prend soin, dans le dernier extrait, de distinguer la loi - comme règle imposée de l'extérieur - de l'éthique - comme reconnaissance raisonnée du bien. 

 

« Pour les autres notions aussi, elles ne sont rien, si ce n'est des modes d'imaginer par lesquels l'imagination est diversement affectée, et cependant les ignorants les considèrent comme les attributs principaux des choses ; parce que, comme nous l'avons dit déjà, ils croient que toutes choses ont été faites en vue d'eux-mêmes et disent que la nature d'une chose est bonne ou mauvaise, saine ou pourrie et corrompue, suivant qu'ils sont affectés par elles. » 
Spinoza, Ethique, trad. Appuhn (revue), GF-Flammarion, 1ère partie, appendice

« Car si, par exemple, deux individus entièrement de même nature se joignent l'un à l'autre, ils composent un individu deux fois plus puissant que chacun séparément. Rien donc de plus utile à l'homme que l'homme ; les hommes, dis-je, ne peuvent rien souhaiter qui vaille mieux pour la conservation de leur être, que de s'accorder tous en toutes choses de façon que les Ames et les Corps de tous composent en quelque sorte une seule Ame et un seul Corps, de s'efforcer tous ensemble à conserver leur être et de chercher tous ensemble l'utilité commune à tous » .


Spinoza, Ethique, trad. Appuhn (revue), GF-Flammarion, 4e partie, prop.18, scolie


« J'appelle Moralité le Désir de faire le bien qui tire son origine de ce que nous vivons sous la conduite de la Raison. Quant au Désir qui tient un homme vivant sous la conduite de la Raison, de s'attacher les autres par le lien de l'amitié, je l'appelle Honnêteté ; honnête, ce que louent les hommes vivant sous la conduite de la Raison, vilain au contraire, ce qui s'oppose à l'établissement de l'amitié. Par là j'ai aussi montré quels sont les fondements de la cité. » 


Spinoza, Ethique, trad. Appuhn (revue), GF-Flammarion, 4e partie, prop.37, scolie 1. 



« Sur le premier point, je réponds que l'Ecriture use constamment d'un langage tout anthropomorphique, convenant au vulgaire auquel elle est destinée ; ce vulgaire est incapable de percevoir les vérités un peu haute. C'est pourquoi, j'en suis persuadé, toutes les règles de vie, dont Dieu a révélé aux Prophètes que l'observation était nécessaire au salut, ont pris la forme de lois, et, pour la même raison, les Prophète ont forgé des paraboles. En premier lieu, en effet, ils ont présenté comme exprimant la volonté d'un Roi et d'un Législateur, les moyens de salut et de perdition révélés par Dieu et dont il était cause ; ils ont appelé loi ces moyens de salut qui ne sont rien que des causes, et les ont transformés en lois ; ils ont donné le caractère de récompense et de châtiment au salut et à la perdition qui ne sont autre chose que les effets découlant nécessairement de ces mêmes causes. Ils ont accomodé leur langage à cette histoire ou parabole plutôt qu'à la vérité et, en beaucoup d'occasions, prêté à Dieu les passions de l'homme, tantôt la colère, tantôt la misericorde, parfois le désir de ce qui n'est pas encore, parfois la jalousie et le soupçon ; ils ont même cru que Dieu pouvait être induit en erreur par le Diable. Les philosophes, en conséquence, et tous ceux qui sont au dessus de la loi, c'est-à-dire pratiquent la vertu par amour pour elle parce qu'elle est ce qu'il y a de meilleur et non parce que la loi l'ordonne, ne doivent pas être choqués par ce langage. » 


Spinoza, Lettre 19, à Guillaume de Blyenbergh, 3 janvier 1665.