Montesquieu

La loi n'est point coutume, mais vérité raisonnable

Le lecteur trouvera ici une analyses de Condorcet sur la nature de la loi civile. Récusant les thèses de Montesquieu, il y distingue radicalement l'objet de la législation des traditions et coutumes propres à chaque culture. Le Droit public n'est en effet pas pour Condorcet l'expression des moeurs, mais bien ce qui permet de les juger à l'aune de la raison et de la liberté.

Comme la vérité, la raison, la justice, les droits des hommes sont les mêmes partout, on ne voit pas pourquoi toutes les provinces d’un Etat, ou même tous les Etats n’auraient pas les mêmes lois criminelles, les mêmes lois civiles, les mêmes lois de commerce, etc. Une bonne loi doit être bonne pour tous les hommes, comme une proposition vraie est vraie pour tous. Les lois qui paraissent devoir être différentes suivant les différents pays ou statuent sur des objets qu’il ne faut pas régler par des lois, comme sont la plupart des règlements de commerce, ou bien sont fondées sur des préjugés, des habitudes qu’il faut déraciner ; et un des meilleurs moyens de les déraciner est de cesser de les soutenir par des lois. (…)

Lorsque les citoyens suivent les lois, qu’importe qu’ils suivent les mêmes ? Il importe qu’ils suivent de bonnes lois ; et comme il est difficile que deux lois différentes soient également justes, également utiles, il importe encore qu’ils suivent la même, par la raison que c’est un moyen de plus d’établir l’égalité entre les hommes. Quel rapport le cérémonial tartare ou chinois peut-il avoir avec des lois ? Cet article semble annoncer que Montesquieu regardait la législation comme un jeu, où il est indifférentde suivre telle ou telle règle, pourvu qu’on suive la règle établie, quelle qu’elle puisse être. Mais cela n’est pas vrai, même des jeux. Leurs règles, qui paraissent arbitraires, sont fondées presque toutes sur des raisons que les joueurs sentent vaguement, et dont les mathématiciens, accoutumés au calcul des probabilités, sauraient rendre compte.

 

CONDORCET, Observation sur le XXIXème livre de l’Esprit des lois (1780)