Psychologie

Sur le principe de contradiction

Cet extrait des Fragments posthumes de Nietzsche met en cause le principe de contradiction. La pensée reconnaît-elle le réel quand elle dit qu’une chose ne peut être A et non A en même temps, ou bien ne fait-elle que céder à la facilité et aux limites de sa nature? C’est l’objet de cette page. Jean Michel Muglioni en conduit un commentaire dans un de ses problèmes de philosophie.

Affirmer et nier une même chose, nous n'y saurions parvenir : c'est là un principe subjectif, dans quoi ne s'exprime aucune « nécessité », mais rien qu'une incapacité.

Si, selon Aristote, le principe de contradiction est le plus certain de tous les principes, s'il est le dernier et le plus foncier auquel se ramènent toutes les démonstrations, et qu'en lui réside le principe de tous les autres axiomes : alors on devrait examiner avec d'autant plus de rigueur tout ce qu'il présuppose au fond d'affirmations préalables. Ou bien l'on affirme par lui quelque chose concernant le réel, l'étant, comme si d'ores et déjà l'on en avait une notion acquise par ailleurs : c'est-à-dire que des prédicats contradictoires ne sauraient être attribués à l'étant. Ou bien ce principe signifie que l'on ne doit pas attribuer semblables prédicats à l'étant ? Et dans ce cas, la logique serait un impératif, non pour la connaissance du vrai, mais pour poser et accommoder un monde censé s'appeler pour nous le monde vrai.

Bref, la question reste ouverte : les axiomes logiques sont-ils adéquats au réel, ou bien sont-ils des critères et des moyens propres à nous créer préalablement du réel - le concept de « réalité » ?... Pour pouvoir affirmer le premier point, il faudrait d'ores et déjà connaître l'étant, comme on l'a dit ; ce qui n'est point le cas. Ainsi ce principe contient non pas critère de vérité, mais un impératif quant à ce qui DOIT valoir pour vrai.

Admis qu'il n'existât point semblable A identique à soi-même, tel que le présuppose toute proposition de la logique (comme aussi des Mathématiques) le A serait déjà une apparence, la logique n'aurait ainsi pour présupposition qu'un seul monde purement apparent. En fait, nous croyons à cette proposition sous l'impression de l'expérience infinie, qui semble la confirmer continuellement. La « chose » - voilà le substrat proprement dit de A : notre croyance aux choses est la présupposition de notre croyance à la logique. Le A de la logique, de même que l'atome est une construction après coup de la « chose »... Tandis que nous ne comprenons point ceci et que nous faisons de la logique un critère de l'être vrai, nous sommes déjà en train de poser toutes ces hypothèses, substance, prédicat, objet, sujet, action, etc., en tant que réalités : c'est-à-dire de concevoir un monde métaphysique, c'est-à-dire un « monde vrai » (- or celui-ci est encore une fois le monde apparent...)

Les actes de penser les plus originels, l'affirmation et la négation, tenir-pour-vrai et ne-pas-tenir-pour-vrai, pour autant qu'ils présupposent non seulement une habitude mais un droit de tenir pour vrai ou pour non vrai d'une manière générale, sont d'avance dominés par une croyance, à savoir que pour nous il existe une connaissance, que l'acte de juger PUISSE réellement toucher la vérité : - bref, la logique ne doute pas de pouvoir énoncer quelque chose de vrai-en-soi (notamment que des prédicats non contradictoires puissent lui être attribués)

Ici règne le grossier préjugé sensualiste selon lequel les sensations nous enseignent des vérités sur les choses, - je ne puis à la fois dire d'une seule et même chose qu'elle est dure et qu'elle est molle (la preuve instinctive « je ne puis avoir simultanément deux sensations contradictoires » - absolument grossière et fausse). L'interdit conceptuel de contradiction procède de la croyance que nous pouvons former des concepts, qu'un concept non seulement définit le vrai d'une chose, mais le saisit... En fait, la logique (telle la géométrie et l'arithmétique) n'est valable que pour comprendre le monde réel selon un schème de l'être posé par nous-mêmes, pour nous le rendre plus exact, formulable, calculable...

Fragments posthumes vol. XIII 9 [97], 67 Gallimard

Le sentiment, principe de tout jugement éthique

« Proposition 7 

La connaissance du bon et du mauvais n'est rien d'autre que l'affect de la joie ou de la tristesse, en tant que nous en avons consience. 

Démonstration 

Nous appelons bon ou mauvais ce qui est utile ou nuisible à la conservation de notre être (Def. 1 et 2), c'est-à-dire (prop.7, partie III) ce qui accroît ou diminue, seconde ou réduit notre puissance d'agir. En tant donc (Déf. De la joie et de la tristesse, Scolie de la prop.2, partie III) que nous percevons qu'une chose nous affecte de joie ou de tristesse, nous l'appelons bonne ou mauvaise ; et ainsi la connaissance du bon et du mauvais n'est rien d'autre que l'idée de la joie ou de la tristesse, qui suit nécessairement (prop.22, partie II) de l'affect même de la joie ou de la tristesse. Mais cette idée est unie à l'affect de la même manière que l'Ame est unie au corps (prop.21, partie II) ; c'est-à-dire (comme nous l'avons montré dans le scolie de la même proposition) cette idée ne se distingue, en réalité, de l'affect lui-même, ou (Définition générale des affects) de l'idée de l'affection du corps, que par la conception que nous en avons ; donc cette connaissance du bon et du mauvais n'est rien d'autre que l'affect même, en tant que nous en avons conscience. » 

Spinoza, Ethique, trad. Appuhn (revue), GF-Flammarion, IVe partie, proposition 8