Contre la loi d’orientation sur l’éducation de 1989


Ce court texte n’a pas de titre chez Jacques Muglioni. Il n’a à notre connaissance pas été publié.


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La Loi d’orientation sur l’éducation, récemment adoptée par le Parlement, confirme – et au-delà – des appréhensions maintes fois exprimées. Voici sommairement les points essentiels.

Les nouvelles finalités assignées à l’Inspection générale équivalent à la suppression d’une institution éminemment républicaine. L’évaluation globale implique l’effacement des disciplines et de leur rigueur propre. Le caractère régional de la notation entraîne la subordination des professeurs aux féodalités provinciales. La compétence proprement scientifique est méprisée. L’indépendance pédagogique du professeur par rapport au système administratif et hiérarchique est sacrifiée.

Confondre, en outre, en les transférant aux seules universités, la formation des instituteurs et celle des professeurs, c’est à la fois compromettre deux formations distinctes et annihiler la spécificité de l’enseignement secondaire. Ressentiment à l’égard d’une institution persistant à remplir sa fonction d’instruction ? Nul ne peut s’y tromper de bonne foi : l’allégement, en clair la dissolution progressive des grands concours qui en sont la clef de voûte, annoncent la fin de l’institution d’enseignement qui nous est le plus enviée dans le monde.

D’une façon générale la réforme affecte tout ce qui a encore quelque rigueur et quelque efficacité dans l’ordre de l’instruction publique. Elle prend le contre-pied de la politique qui en 1985 avait fait l’unanimité de l’opinion. C’est la revanche des institutions molles exposées au clientélisme et au faux-semblant. « Transdisciplinarité » et « déprogrammation », pour ne citer que des exemples, désignent directement l’abandon de l’instruction fondamentale.

Tout se passe comme si l’idéal de révolution sociale hérité des Lumières avait été complètement abandonné au profit d’une sorte de « révolution culturelle » attachée à faire table rase du passé dans l’ordre du savoir, des méthodes et de la culture. Quand on renonce à changer la société, alors on change l’école jusqu’à la détruire. La « démocratisation » signifie aujourd’hui qu’à l’égalité des conditions, seule susceptible de permettre au plus grand nombre d’accéder, en fonction des seules capacités intellectuelles, à la plus haute culture, est presque ouvertement substitué un nivellement aveugle destiné à mettre hors jeu les inégalités de travail et de talent. Mais, comme on ne peut empêcher que se dégage une élite, sa formation est hypocritement abandonnée aux hasards de la naissance, aux circonstances familiales ou régionales, aux combines restant à la discrétion des plus habiles ou des mieux placés. On sait très bien que les gens avertis et disposant d’appuis ne mettent pas leurs enfants dans n’importe quel établissement !

Cette politique du ressentiment, paradoxalement inspirée par « les premiers de la classe », se développe sans laisser paraître ses présupposés, par conséquent de façon cachée et sans vrai débat. Tel est le point capital. L’enseignement est abandonné à la dérive dans laquelle l’entraîne la société tout entière sans qu’un pouvoir politique distinct assume les responsabilités qui lui incombent. Existe-t-il encore une gauche en France ? « 1989, l’année de tous les oublis » ?

Quoi qu’il en soit, la situation est assez préoccupante pour justifier dans un proche avenir la ferme protestation de ceux qui ne renoncent pas aux vertus de l’école.