Justice

Oui, Vive la Liberté mais... La Liberté c'est d'abord la justice !

Article du Populaire de Saône-et-Loire n°6.

Texte publié dans Le populaire de Saône-&-Loire, Organe hebdomadaire de la Fédération Socialiste S.F.I.O. de S.-et-L. du samedi 2 mars 1946.


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...Ils espèrent créer un courant d’opinion et provoquer une action de masse : l’entreprise, semble-t-il, n’est pas si téméraire qu’on le prétend à gauche. « Le peuple est déçu », dit-on un peu partout ; les rescapés de la débâcle fasciste peuvent saisir l’occasion d’une aventure.

Leurs arguments sont à la portée des plus faibles esprits. Il s’agit de faire admettre que la pénurie de vivres et de matières premières est due à l’incurie des ministres de « gauche », que les réglementations paralysent les bonnes volontés, que tout mal vient des nationalisations, que le salut enfin est dans le retour à la « liberté ». Vive donc la liberté ! Tel est le mot d’ordre du parti de M. Mutter qui a commencé sa campagne électorale.

Nous pourrions reprocher au Parti « Républicain » de la « Liberté » de compter parmi ses membres d’anciens serviteurs fervents du maréchal et de zélés praticiens de la collaboration. Nous pourrions aussi douter de son sentiment profond de la liberté en nous souvenant que le 6 février 1934, ce n’était pas les plus honnêtes gens qui criaient : « À bas les voleurs », que les manifestants armés de rasoirs qui hurlaient : « La France aux Français », étaient ceux-là même qui six ans plus tard devaient livrer d’un cœur léger la France à Hitler.

Nous laisserons les hommes pour nous en tenir aux faits. La crise du ravitaillement est d’ordre mondial, et il est clair qu’il n’y aura de solution que sur le plan international. Crier sur tous les toits que cela va moins bien que sous les Allemands est le fait de gens aigris par la misère qui, inconsciemment, se font l’écho des trafiquants du marché noir, des privilégiés qui, eux, n’ont jamais souffert mais qui regrettent le temps rêvé où le peuple était asservi à leurs caprices. 

Quant aux nationalisations il est naturel qu’elles déplaisent à ceux qui ont perdu et qui risquent encore de perdre leurs privilèges. Ce qui ne nous étonne pas beaucoup, c’est l’ardeur avec laquelle les serviteurs du capitalisme ont su se maintenir à la tête de certaines entreprises nationalisées pour saboter de leur mieux, aux postes de « techniciens » l’effort de production des ouvriers.

Il s’agit en réalité de choisir entre la liberté pour le loup de croquer l’agneau, et la liberté pour tous les hommes, en assurant leur existence et leur dignité, de participer dans une rigoureuse égalité à la vie commune de la nation. 

Le P. R. L. ne défend rien d’autre que le libéralisme économique. Il regrette l’ère de la libre concurrence et du libre profit. Il voudrait rétablir le patronat de droit divin et n’a pas oublié qu’à notre époque, la seule façon pour le capitalisme de se maintenir est de prendre la forme agressive du fascisme. 

Il n’est qu’une minorité pour être dupe de ce chantage à la liberté. La preuve fut faite à Lyon récemment. À une réunion où « des messieurs distingués et des dames élégantes constituaient l’aréopage des orateurs annoncés », se substitua une manifestation d’unité d’action démocratique et ouvrière. 

La liberté, ce n’est pas le droit pour les oligarchies financières et économiques d’imposer leur volonté à la classe ouvrière, ce n’est pas la possibilité légalement établie pour les seigneurs du vingtième siècle d’assouvir leur égoïsme par tous les moyens.

Les travailleurs savent qu’ils ne peuvent rien attendre de leurs maîtres d’hier si ce n’est l’arbitraire, le chômage, la misère et enfin la guerre. Ils sont persuadés que leurs libération sera leur œuvre, que la liberté c’est d’abord la justice, et que la justice, c’est le socialisme.



Proudhon, Justice et liberté

En 1962, Jacques Muglioni fait paraître aux Presses universitaires de France un recueil de textes choisis du penseur socialiste français, Pierre-Joseph Proudhon. Cette anthologie est divisée en quatre partie traitant successivement des causes de l’oppression, de la liberté, du travail et enfin de la justice, quatrième partie qui fait l’objet d’une édition électronique sur le site des classiques des sciences sociales.

Si ce travail d’éditeur manifeste la grande familiarité de Jacques Muglioni avec la pensée du père de l’anarchisme, il permet également d’approfondir les racines libertaires du combat, indissolublement intellectuel et politique pour la véritable liberté de pensée du futur doyen de l’inspection générale de philosophie. Cet extrait des Confessions d’un révolutionnaires (1849), repris dans la seconde partie de l’anthologie, l’illustre.

Ironie, vraie liberté !

C'est toi qui me délivres de l'ambition du pouvoir, de la servitude des partis, du respect de la routine, du pédantisme de la science, de l'admiration des grands personnages, des mystifications de la politique, du fanatisme des réformateurs, de la superstition de ce grand univers et de l'adoration de moi-même. Tu te révélas jadis au sage sur le trône quand il s'écria, à la vue de ce monde où il figurait comme un demi dieu : Vanités des vanités ! Tu fus le démon familier du philosophe quand il démasque du même coup et le dogmatique, et le sophiste, et l'hypocrite, et l'athée, et l'épicurien, et le cynique; tu consolas le Juste expirant quand, il pria sur la croix pour ces bourreaux : "Pardonnez-leur, mon père, car ils ne savent pas ce qu'ils font".

Pierre-Joseph Proudhon, Confession d'un révolutionnaire, 1849.