Le droit à l'instruction


Article du
Populaire de Saône-et-Loire n°9.

Texte publié dans Le populaire de Saône-&-Loire, Organe hebdomadaire de la Fédération Socialiste S.F.I.O. de S.-et-L. du samedi 23 mars 1946.


Version Pdf

L’assemblée constituante a repoussé les amendements de la droite et des Républicains populaires qui prétendaient inscrire dans la Déclaration des Droits, la liberté d’enseigner. Sur ce point, les radicaux ont suivi les partis ouvriers.

Nos camarades ont fait valoir que l’enseignement n’était pas une liberté mais une fonction sociale. « Le seul droit qu’on puisse considérer, c’est celui qu’a l’enfant de recevoir l’instruction dans le respect intégral de sa conscience. » Guy Mollet a déclaré, en outre, que le droit d’enseigner ne pourrait être absolu, comme le droit d’exprimer la pensée, que si l’enseignement s’adressait à des esprits déjà formés, libres dans leur jugement et dans leur conduite. Il ne peut être absolu quand il s’agit de l’enfant, chez qui l’empreinte des premières influences détermine la conscience et l’avenir. L’enfant a droit à la liberté et c’est pourquoi il doit être préservé de toute contrainte morale. L’enseignement n’est pas un dressage : ni une religion, ni une secte, ni la famille n’ont de droit sur les consciences qui s’éveillent.

La requête de l’opposition eût été légitime si l’enseignement public appartenait à un parti ou à une caste. Mais chacun sait qu’instituteurs et professeurs sont recrutés par des concours dans le strict respect des croyances, dans le seul souci de récompenser le savoir et le mérite. Chacun sait que l’enseignement public est capable de donner à l’enfant une formation morale (MM. Gay et Teitgen l’ont honnêtement reconnu) et que la crise présente est imputable non à l’école, mais au désordre profond de la société.

De plus, Paul Rivet a bien montré que la liberté d’enseigner entrave le droit à l’instruction. La liberté pour l’enfant, c’est le droit de savoir et peu à peu de juger, de choisir et de s’engager dans une voie toute à lui. Il est temps d’aligner nos institutions et nos mœurs sociales sur le progrès de la conscience. Il ne s’agit pas de combattre la foi par la contrainte, mais au contraire de délivrer l’esprit de toute contrainte. Il ne s’agit pas d’interdire l’enseignement privé de la religion, mais au contraire de montrer à l’enfant, à l’école même, ce que les grands courants religieux ont apporté à la civilisation. Comment ils ont enrichi la sensibilité humaine, mais aussi quelles furent les protestations de la science et de la raison.

Enfin, pour réaliser l’unité de la jeunesse de France, il faut créer une école universelle où les croyances seront respectées, où la seule règle pour les maîtres sera d’enseigner par dessus tout la liberté de l’esprit et de développer avec le jugement le génie propre de chacun.

Ce programme, certes, n’est pas inscrit dans la Déclaration des Droits, mais elle en contient déjà le principe et la promesse.

N.-B. — Dans mon dernier article, je citais à la fin une belle formule de Guillet parlant au nom du groupe socialiste à l’assemblée : « Ce n’est pas le droit qui crée l’histoire, c’est l’histoire qui détermine le contenu de la notion juridique » et non pas « Nation », ce que nos lecteurs auront rectifié d’eux-mêmes.