Billet n°9 – 17 octobre 1958. Version pdf.
Qui aime la vérité ne se lasse pas de la chercher et tout à la fois tolère ses propres erreurs. Au contraire, le fanatique ne cherche pas quelle chose est vraie, il veut que telle chose soit vraie. Il lui faut, avant tout, avoir raison. C’est une précaution qu’il prend contre lui-même. Car le doute est un risque qu’il ne peut pas courir. Sa vérité perdue, il ne lui resterait aucune raison de vivre.
S’il est vraiment convaincu que sa vérité est bonne, pourquoi ne consent-il pas à la mettre en question ? Au contraire il se replie sur soi pour se défendre contre les incertitudes de sa propre pensée. À cette fin, il simplifie le réel selon une loi grossière de partage entre la vérité et l’erreur, le bien et le mal. Il conçoit la vérité comme un camp retranché où il engloutit toute la richesse du monde.
Galilée n’avait pas besoin de persuader. Le mouvement de la terre se défendait tout seul. Le fanatique au contraire veut convaincre. Il est politique parce qu’il est militant : il est religieux parce qu’il croit la vérité profanée. L’erreur est un péché dont il veut purifier le monde. Cette hantise du salut conduit à l’inquisition. Cette belle générosité qui croit sauver les hommes de l’erreur nourrit les flammes du bûcher.
Le fanatisme est un règlement chirurgical de l’incertitude. Mais il périt par sa propre violence, car il méconnaît que ce qui prépare toute vérité, c’est le libre examen, que ce qui la fonde, c’est le libre consentement. Cette idée nous montre la tolérance dans sa profondeur. La fausse tolérance, celle des sceptiques, est une sorte d’indifférence à la vérité. Elle revient à croire que l’erreur est de mon côté ou que peut-être toutes nos pensées se valent. La vraie tolérance, c’est plutôt de consentir à l’existence d’autrui et à son erreur possible. Tolérer l’erreur, c’est plutôt comprendre que la vérité ne peut être imposée du dehors, c’est comprendre qu’elle a sa source dans la liberté l’esprit.