Le populaire

La déclaration des droits


Article du
Populaire de Saône-et-Loire n°8.

Texte publié dans Le populaire de Saône-&-Loire, Organe hebdomadaire de la Fédération Socialiste S.F.I.O. de S.-et-L. du Samedi 16 mars 1946.


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L’Assemblée Constituante abordant le problème constitutionnel a discuté le texte d’une nouvelle déclaration des droits. Quelques uns ont jugés cette révision inutile, d’autres l’ont affirmée inopportune ; seuls, les socialistes en furent les champions très remarqués. Pourquoi ?

Parce que nous ne pensons pas qu’il faille indéfiniment se réclamer du passé, si glorieux fût-il, que l’histoire évolue sans cesse vers de nouvelles formes et que le devoir des sociétés politiques est d’adapter leurs institutions aux exigences actuelles de la vie.

Nous n’avons jamais cru que la Déclaration de 1789 fût l’expression définitive des droits de l’homme. La révolution de 89 avait amené l’avènement politique de la bourgeoisie qui déjà avait acquis sa suprématie économique aux dépens des féodalités cléricales et nobiliaires. La déclaration des droits ne faisait que consacrer les aspirations politiques et civiles de la classe dominante de l’époque : elle ignore les droits de la femme et les droits du travailleur, elle ne connaît que « la seule liberté commerciale dénuée de conscience », les droits exclusifs des individus alors les plus aptes à réaliser l’épanouissement de la civilisation industrielle.

En un mot, elle était la charte politique de la démocratie bourgeoise, la somme juridique adaptée aux exigences de fait de l’économie libérale.

Mais au cours du XIXe siècle, les penseurs socialistes en France, et la critique historique de Karl Marx, découvrirent l’aspect nouveau de la lutte des classes. La bourgeoisie, jadis révolutionnaire, avait par sa vertu même, forgé des armes qui devaient se retourner contre elle. Sa prospérité se doublait d’un développement parallèle, en nombre et en cohésion, du prolétariat. Au travail individuel de l’artisan s’était substitué le travail collectif des ouvriers d’usine ; la propriété capitaliste devenait un non-sens économique et un scandale moral. De plus en plus les contradictions du régime déterminaient des crises et des guerres. En même temps, la classe opprimée luttait, plus énergiquement, pour sa libération.

C’est pourquoi – et nos camarades à l’assemblée l’ont très bien dit – la nouvelle Déclaration des Droits doit exprimer quels sont les rapports sociaux dans la vie actuelle et les aspirations du prolétariat que justifie à la fois l’histoire et la raison. Il s’agit de consacrer une conception nouvelle de la personne humaine, de la liberté et de la propriété. Il faudrait dire clairement que l’homme ne peut plus être contraint de vendre son travail et considéré lui-même comme une marchandise, qu’il n’existera plus de profit sans travail, dans le cadre d’une économie collective où la forme de propriété adoptera la forme de la production.

« Ce n’est pas le droit qui crée l’histoire, c’est l’histoire qui détermine le contenu de la notion juridique. » La Déclaration de 1946 doit tenir compte des réalités présentes pour libérer les forces morales de l’avenir.


Le droit à l'instruction


Article du
Populaire de Saône-et-Loire n°9.

Texte publié dans Le populaire de Saône-&-Loire, Organe hebdomadaire de la Fédération Socialiste S.F.I.O. de S.-et-L. du samedi 23 mars 1946.


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L’assemblée constituante a repoussé les amendements de la droite et des Républicains populaires qui prétendaient inscrire dans la Déclaration des Droits, la liberté d’enseigner. Sur ce point, les radicaux ont suivi les partis ouvriers.

Nos camarades ont fait valoir que l’enseignement n’était pas une liberté mais une fonction sociale. « Le seul droit qu’on puisse considérer, c’est celui qu’a l’enfant de recevoir l’instruction dans le respect intégral de sa conscience. » Guy Mollet a déclaré, en outre, que le droit d’enseigner ne pourrait être absolu, comme le droit d’exprimer la pensée, que si l’enseignement s’adressait à des esprits déjà formés, libres dans leur jugement et dans leur conduite. Il ne peut être absolu quand il s’agit de l’enfant, chez qui l’empreinte des premières influences détermine la conscience et l’avenir. L’enfant a droit à la liberté et c’est pourquoi il doit être préservé de toute contrainte morale. L’enseignement n’est pas un dressage : ni une religion, ni une secte, ni la famille n’ont de droit sur les consciences qui s’éveillent.

La requête de l’opposition eût été légitime si l’enseignement public appartenait à un parti ou à une caste. Mais chacun sait qu’instituteurs et professeurs sont recrutés par des concours dans le strict respect des croyances, dans le seul souci de récompenser le savoir et le mérite. Chacun sait que l’enseignement public est capable de donner à l’enfant une formation morale (MM. Gay et Teitgen l’ont honnêtement reconnu) et que la crise présente est imputable non à l’école, mais au désordre profond de la société.

De plus, Paul Rivet a bien montré que la liberté d’enseigner entrave le droit à l’instruction. La liberté pour l’enfant, c’est le droit de savoir et peu à peu de juger, de choisir et de s’engager dans une voie toute à lui. Il est temps d’aligner nos institutions et nos mœurs sociales sur le progrès de la conscience. Il ne s’agit pas de combattre la foi par la contrainte, mais au contraire de délivrer l’esprit de toute contrainte. Il ne s’agit pas d’interdire l’enseignement privé de la religion, mais au contraire de montrer à l’enfant, à l’école même, ce que les grands courants religieux ont apporté à la civilisation. Comment ils ont enrichi la sensibilité humaine, mais aussi quelles furent les protestations de la science et de la raison.

Enfin, pour réaliser l’unité de la jeunesse de France, il faut créer une école universelle où les croyances seront respectées, où la seule règle pour les maîtres sera d’enseigner par dessus tout la liberté de l’esprit et de développer avec le jugement le génie propre de chacun.

Ce programme, certes, n’est pas inscrit dans la Déclaration des Droits, mais elle en contient déjà le principe et la promesse.

N.-B. — Dans mon dernier article, je citais à la fin une belle formule de Guillet parlant au nom du groupe socialiste à l’assemblée : « Ce n’est pas le droit qui crée l’histoire, c’est l’histoire qui détermine le contenu de la notion juridique » et non pas « Nation », ce que nos lecteurs auront rectifié d’eux-mêmes.


Léon Blum


Article du
Populaire de Saône-et-Loire n°2.

Texte publié dans Le populaire de Saône-et-Loire, Hebdomadaire de la Fédération Socialiste (S. F. I. O.) de Saône-&-Loire du samedi 19 mai 1945.


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Nous avons retrouvé notre Léon Blum. Il est de nouveau parmi nous. La grande figure qui incarne le socialisme international a repris sa place dans le pays dont il est l’un des premiers citoyens et dans le parti auquel il a voué sa vie. Aucun homme politique n’avait été plus calomnié au temps où la politique était asservie à une presse infâme. Les ennemis de la République d’abord, les ennemis de la France ensuite l’ont pris comme otage parce qu’il représentait la démocratie sociale et qu’il eût pris la tête de la résistance française. C’est pourtant lui qui, à Riom, accusateur au banc des accusés, a donné à la résistance sa consistance et sa direction politique.

Seul dans sa prison, non seulement banni de la vie publique, mais privé de sa vie d’homme libre, au temps où les grandes vertus humaines que sont la justice et la liberté avaient été bafouées dans le pays même qui était la patrie de ces vertus, Léon Blum, par un retour sur soi qui n’eut point d’exemple en politique, définit pour nous les grandes lignes de l’avenir. Le livre qu’il écrivit en 1941 dans les prisons de Bourrassol et du Portalet, et qu’il fut permis à ses amis d’éditer avant son retour d’Allemagne situe « à l’échelle humaine » les problèmes de la France et du Socialisme. Le public trouvera dans ce livre un grand enseignement et notera sans doute la hauteur incomparable de son accent, mais le militant qui a déjà senti Léon Blum au sein de la famille socialiste ne pourra contenir une émotion intense qui ira, plus loin que l’affection, jusqu’au sentiment d’humilité et de reconnaissance qui accompagne les grandes rencontres de la vie.

Léon Blum y analyse avec rigueur les erreurs et aussi les malheurs de sa génération. Il met en garde la jeunesse contre la démagogie facile de ceux qui la flattent pour l’enrôler bruyamment au service de l’arbitraire et de l’autorité. Il dénonce avec évidence la décadence de la bourgeoisie, sa responsabilité dans nos souffrances, son absurdité économique, et formule sans détour les devoirs rigoureux du peuple ouvrier. Seul, le socialisme apportera aux hommes le bonheur dans la dignité, parce qu’il réalisera la justice égale à l’intérieur des nations et la paix égale entre les peuples. Mais il faut avant tout le courage moral et physique sans lequel il n’est pas d’action grande, l’enthousiasme, le dévouement et l’honnêteté sans lesquels il n’est pas d’œuvre durable et forte. L’humanité a produit les plus grands génies scientifiques et des artistes qui surent la grandir en l’élevant : pourquoi ne produirait-elle pas des génies politiques qui réaliseraient dans le monde des choses et des êtres ce que la pensée créatrice conçoit intérieurement ? Il n’y a pas une vérité pour concevoir et une autre pour agir. L’idéal n’a de valeur que par l’effort qui le pousse au cœur du réel.

Nous attendions ce guide avec ferveur et nous avons tremblé pour sa vie. Nous savons qu’il continue Jaurès et c’est pourquoi nous lui demandons la lumière. Ce n’est pas une adoration frivole ou une adulation fanatique. Mais nous, socialistes, qui affirmons la vertu des collectivités et qui assignons à la politique les grandes fins collectives que sont l’organisation, la liberté et la justice, nous savons reconnaître les grandes personnalités et utiliser au profit de l’humanité l’idéal et l’exemple qu’elles incarnent.


Un nouveau type d'homme

Article du Populaire de Saône-et-Loire n°3.

Texte publié dans Le populaire de Saône-&-Loire, Hebdomadaire de la Fédération Socialiste (S. F. I. O.) de Saône-et-Loire du samedi 29 septembre 1945.


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Quand un socialiste s’adresse aux électeurs, il ne leur propose pas seulement un programme local ou quelques réformes urgentes, il leur parle surtout du socialisme. Notre parti est le seul à proposer actuellement un système complet de réformes ; il est le seul qui ose proclamer son but réel, sa doctrine profonde, sa conception révolutionnaire du monde et de l’homme. En votant socialiste demain, en votant socialiste le 28 octobre, le pays peut décider, non seulement l’amélioration des conditions actuelles de son existence, mais encore le renouvellement prochain de toutes les formes essentielles de sa vie.

Quelques amis ont cru voir, dans l’exposé que Léon Blum fit au congrès le 12 août, un tournant dans l’histoire du socialisme, une déviation de sa ligne de conduite, une hérésie doctrinale et presque une dégradation de sa force. Léon Blum disait que le but du socialisme était de changer la condition humaine et que la révolution économique n’était que le moyen nécessaire à cette transformation. Marx ne voulait pas dire autre chose, mais ici l’accent est déplacé de l’économique vers le moral ; il s’agit d’une expression nouvelle de la même doctrine.

Pourquoi ce déplacement de l’accent ?

Parce que le socialisme est passé de la période critique à la période constructive, « de la phase militante à la phase triomphante ». Le temps n’est plus où le socialisme devait lutter pour se créer une existence dans un milieu hostile et où il lui fallait détruire avec rigueur et violence un monde encore solide. Aujourd’hui, les peuples le portent au pouvoir, ses adversaires même ont adopté son vocabulaire, ses thèmes coutumiers, ses mots d’ordre. On consulte ses techniciens, on compte avec sa force croissante et l’on pressent son triomphe inéluctable.

« Nous sommes passés des difficultés de la faiblesse aux difficultés de la force ». Nous devons descendre en nous-mêmes pour savoir si nous sommes aptes à entreprendre une révolution aussi profonde, à prendre une responsabilité aussi grave. Et dans un monde dont les vicissitudes sans précédent ont appauvri l’âme, nous connaissons l’impérieux devoir d’enrichir les hommes, d’éclairer leur conscience, de leur donner des maximes auxquelles ils puissent croire sans trahir leur liberté et leur dignité d’homme.

Notre parti reste un parti de classe, mais il constate qu’au prolétariat opprimé se sont joints tous ceux que l’adversité a meurtris. Il demeure un parti de révolution économique et de lutte sociale, mais il admet dans ses rangs ceux qui viennent à lui par probité intellectuelle ou par générosité de cœur. Il veut plus fermement que jamais réaliser l’unité politique du monde ouvrier, mais il n’oublie pas que la liberté de jugement et la vérité sont les garanties indispensables d’une victoire réelle et durable.

Un vieil ami me disait plaisamment : « Le socialisme, c’est notre marotte ». J’essaierai de justifier ces mots prochainement en témoignant des perspectives infinies qu’ouvre au monde le socialisme et de sa vocation qui est de créer un nouveau type d’homme.