Articles parus dans Le populaire de Saône-et-Loire

Le père de Jacques Muglioni, Xavier Muglioni (1889-1936) avait sa carte de la SFIO à Bastia avant 1914. Il milita ensuite à Paris particulièrement dans le  cadre de la Corse socialiste. Son fils Jacques (1921-1996) participa aux jeunesses socialistes, sans ignorer même avant la seconde guerre mondiale la terreur soviétique qu’il dénonça pendant la guerre froide lorsqu'il était un des militants les plus en vue de la SFIO de Saône-et-Loire. Jeune professeur de philosophie au lycée de Mâcon, et préparant alors l'agrégation, il rédigea régulièrement des articles dans Le Populaire de Saône-et-Loire, organe local de la SFIO dont il a été rédacteur puis rédacteur en chef (fonction qu’il prend entre les numéros du 3 novembre 1945 et du 16 février 1946).

Ces articles des années 1945-46 défendent le socialisme tel qu’il était défini par Léon Blum. On verra par exemple que Jacques Muglioni admet alors la critique marxiste de la Révolution Française, qu'il ne reprendra plus par la suite (voir le Discours de Ville-di-Paraso du 14 juillet 1989). Mais il formule déjà clairement l’exigence d’une véritable instruction publique sans laquelle une révolution économique et sociale n'aurait aucun sens.

Il est intéressant de voir la différence entre les articles de 1945-46 et ceux des années 1950 : ceux-ci sont des propos philosophiques, et non plus des articles politiques de circonstance. Travailler pour ses classes libère le professeur de l’idéologie. Ainsi Jacques Muglioni cessera de faire du capitalisme la seule cause des guerres. Dans le papier « La Paix » du 12 mai 1945, il dénonce déjà les crimes socialistes. Il ne sera plus question chez lui d'un « nouveau type d'homme », mais son idée de l'humanité ne changera pas.

Certains diront qu’avec l'âge il s'est éloigné de son idéal de jeunesse. Il est au contraire permis de penser que ce sont les gouvernements socialistes qui ont renoncé au socialisme tel que Jacques Muglioni pouvait le concevoir à la Libération : il quitta la SFIO après l’arrestation de Ben Bella en 1956. Il dénoncera sous le pseudonyme de Gédione (« Les Vandales », avril 1958) la trahison de l’école par tous les gouvernements, et dut cesser d’être doyen de l’Inspection générale de philosophie à l’arrivée des socialistes en 1981, en raison de son opposition à leur politique scolaire.

 

Liste des articles 

1. La Paix – 12 mai 1945.

2. Léon Blum – 19 mai 1945.

3. Un nouveau type d'homme – 29 septembre 1945.

4. Avenir de la France… avenir du monde – 3 novembre 1945.

5. L'Armée et la Nation – 16 février 1946.

6. Oui, Vive la Liberté mais... La Liberté c'est d'abord la justice ! – 2 mars 1946.

7. La Conférence des Secrétaires Fédéraux a adopté la Déclaration des Principes du Parti Socialiste – 9 mars 1946.

8. La déclaration des droits – 16 mars 1946.

9. Le droit à l'instruction – 23 mars 1946.

Billets de Gédione

Ces dix neuf petits propos – signés Gédione, anagramme de Diogène – ont été écrits, entre 1958 et 1960, pour le journal anarchiste, Liberté, mensuel « social, pacifiste et libertaire ». Louis Lecoin en était le directeur – qui obtint en 1963, après une grève de la faim (il avait alors 74 ans), que soit promulgué un statut d’objecteur de conscience.

On notera que ce militantisme n’a pas empêché Jacques Muglioni d’être nommé Inspecteur général cette même année : il arrivait alors au pouvoir exécutif de ne pas subordonner les nominations de fonctionnaires à des critères politiques. On lira à ce propos l’article écrit probablement après 1981 : « L’arbitraire des nominations ».

À l’exception de « Violence ! », ces propos ont tous été inclus dans L’école ou le loisir de penser (CNDP, 1993). Ils n’ont pas été conservés pour la seconde édition (Minerve, 2007), excepté «Les vandales ».

Nous les classons ici par ordre chronologique. 

Liste des billets

1. Violence ! – 21 février 1958.

2. Un combat et une histoire – 7 mars 1958.

3. Intelligence et politique – 28 mars 1958.

4. Les vandales – 18 avril 1958.

5. L’esprit confus – 9 mai 1958.

6. La Prudence – 30 mai 1958.

7. Platon – 20 juin 1958.

8. La liberté – 11 juillet 1958.

9. Les vacances – 22 août 1958.

10. Le droit à l’erreur – 17 octobre 1958.

11. La paix perpétuelle – 12 décembre 1958.

12. Semblables ! – 23 janvier 1959.

13. D’abord décréter l’homme– 15 mai 1959.

14. Esclave et citoyen – 15 juin 1959.

15. Religion – 15 août 1959.

16. Le vrai péril – 1er novembre 1959.

17. École et religion – 1er janvier 1960.

18. Le sens des mots – 1er mars 1960.

19. Ironie, vraie liberté – 1er juin 1960.

Ecrits sur Jacques Muglioni

On l’a dit, Jacques Muglioni n’a pour l’essentiel pas fait oeuvre, au sens littéraire du terme. C’est qu’il a fait de son enseignement le lieu central de son travail philosophique. En ce sens, il n’a pas cherché un public, mais a voulu n’avoir que des élèves, et des collègues. Cette humilité apparente exprime en réalité une ambition supérieure. Car les succès littéraires ou médiatiques ne touchent que superficiellement l’intelligence d’autrui. L’enseignement vivant possède une toute autre portée.

C’est que le lien qui relie un professeur à ses élèves est irréductible à ce que toute institution scolaire prescrit nécessairement. Lorsqu’un enseignement véritable a pu être transmis, ses résultats ne sauraient en effet se limiter à l’obtention d’un diplôme ou à la réussite d’un concours. La trace laissée est celle d’un chemin à prendre soi-même, loin de toute servile imitation ou de tout enfermement dans l’orthodoxie d’une “doctrine”. Elle donne l’idée d’un possible pour soi, et éveille à une exigence dont il appartient à chacun de se montrer digne par la suite. Le maître n’est pas un directeur de conscience, mais un éveilleur.

Les textes réunis ici montrent ainsi en quoi Jacques Muglioni n’a pas été pour ses élèves, pour ses collègues, mais aussi pour les lecteurs de ses rares ouvrages, platement un “modèle” à suivre, mais bien un exemple de ce que peut la pensée et l’intelligence lorsqu’elle se donne librement, avec rigueur et courage. Leçon autrement plus fertile. Car la trace laissée par un professeur n’est profonde qu’en ce qu’elle indique à chacun un chemin de perfectionnement et une responsabilité propre et, en nous délivrant des lieux communs du temps ou des opinions que l’on respire avec lui, nous rend à notre propre singularité.

La diversité des témoignages rassemblées ici, comme des trajectoires de ces témoins, en atteste.

Ecrits sur Jacques Muglioni :

  • À Jacques Muglioni, Jacques Billard, texte publié dans la Revue de l'enseignement philosophique, 46e année, n°3, janvier-février 1996, pages 73-74.

  • Hommage à Jacques Muglioni, Bernard Bourgeois, allocution prononcée au lycée Henri IV, à Paris, au début de l’année 1996.

  • Hommage, Bernard Bourgeois, texte publié dans le Bulletin de la Société française de philosophie n°1996 90 1.

  • Sur Jacques Muglioni, René Chiche, extrait de La désinstruction nationale, Chapitre 12, Les boutons de manchettes, page 186, Ed Ovadia, 2020.

  • Eloge de nos maîtres, Régis Debray, extrait des Préaux de la République, Minerve, 1991.

  • Jacques Muglioni et l’école, Jean Lechat, texte publié dans la Revue de l’enseignement philosophique, 46e année, n°3, janvier-février 1996 pages 78-82.

  • Sapere Aude, Jean Lefranc, texte publié dans la Revue de l'enseignement philosophique, 46e année, n°3, janvier-février 1996.

  • Hommage à Jacques Muglioni, Georges Pascal, texte publié dans la Revue des amis d’Alain n°81, juillet 1996, pages 82-84. 

  • Jacques Muglioni, Jean-Louis Poirier, texte publié dans Deux cents ans d’Inspection générale, Jean-Louis Poirier, Fayard, 2002. 

  • La mort du philosophe Jacques Muglioni, Philippe Soual, texte publié dans Corse Matin, sans doute en janvier 1996.

  • Jacques Muglioni, un citoyen incommode, Joêl Wilfert, texte publié dans les Cahiers philosophiques, n° 68, octobre 1996, CNDP, pages 59 à 62.

Recensions de l’école ou le loisir de penser

Notice de l’ouvrage

L’école ou le loisir de penser, 2ème édition, Minerve, 2017.

L’école ou le loisir de penser, 1ère édition, CNDP, 1993.

  • Recension par Edith Fuchs, texte publié dans la Revue philosophique de la France et de l’étranger, T. 185 n°1, janvier-mars 1995, pages 113-114.

Nous remercions les auteurs de ces textes ne nous avoir autorisés à les publier ici.

La philosophie ou le dessin


Nous ignorons la date de rédaction de ce texte qui est repris intégralement dans l’avant propos de L’école ou le loisir de penser
, CNDP, 1993.

Version Pdf

J’avais eu la chance de faire du latin et du grec. C’est ce qui me valut d’entrer dans la classe de Philo 1 chez Georges Bastide. La douceur de l’accent toulousain n’affectait nullement la rigueur d’un enseignement fait de leçons ordonnées qui, chaque jour, nous apprenaient quelque chose et aussi à penser. Par-delà les questions de psychologie alors inscrites au programme nous rencontrions Platon et Descartes, Spinoza et Kant. Les textes, il est vrai, n’étaient guère présents, sauf quelques citations mémorables que le professeur dictait au passage. C’était en 1938-1939. Je ne me souviens pas d’un cours sur la phénoménologie qui, je crois, fit seulement l’objet d’allusions. Un jour Bastide nous dit : « S’il s’agit seulement de retrouver le vécu et de décrire les phénomènes, il vaut mieux faire comme Monsieur Sartre et écrire un roman ».

Sartre, en effet, venait de publier La nausée. Il enseignait de l’autre côté de la cloison aux élèves de Philo 2. Sa classe se signalait parfois par un énorme brouhaha, de courte curée d’ailleurs. J’avais appris au début de l’année scolaire que le cours avait commencé par l’inconscient. Il m’arrivait à la sortie de demander à des camarades : « Où en êtes-vous maintenant ? » La réponse fut la même jusqu’à la veille de l’examen : « C’est toujours l’inconscient ! » Quand même j’appris que le dernier jour la classe avait osé demander au professeur une conclusion. Sartre avait alors expliqué en une heure que l’inconscient n’existait pas !

Il m’est souvent arrivé de me demander ce qu’il serait advenu de moi si, au lieu de Bastide, j’avais eu Sartre comme professeur de philosophie. Et bien j’aurais fait du dessin, car par bonheur on ignorait encore les « arts plastiques », et je serais passé par les Beaux-arts. C’est d’ailleurs la seule discipline qui me valut un accessit au concours général.

Trois ans plus tard, allant à pied de la Sorbonne au Collège Chaptal où j’étais pion, je croisai sur le Pont des Arts Sartre qui flânait. J’appris par la suite qu’il revenait de captivité. Peut-être avait-il déjà en tête sa théorie de l’engagement. En tout cas il fumait sa pipe que, trois ans auparavant au lycée Pasteur, je lui avais vu vider chaque matin d’un coup sec sur le talon avant de rejoindre sa classe. Imiter ce geste m’était alors apparu comme une promotion. Je ne puis donc pas dire que je ne lui dois rien.